Association Maçonnique Internationale

Publié le 24 Février 2015

« Tout homme est nécessaire à la cause de la culture et c'est un crime que de violer la liberté de pensée de l'homme et d'empêcher son travail.

 

Dans la situation actuelle, nous devons défendre non seulement la culture, mais même les droits les plus primitifs de l'homme.

 

Le monde se trouve dans une crise plus profonde encore qu'en 1914. Il s'agissait alors d'idées impérialistes personnelles plutôt, tandis qu'aujourd'hui cette fièvre semble s'emparer de peuples tout entiers. Beaucoup ont perdu la foi en la force de la culture et aux armes spirituelles et les mains se tendent vers les moyens barbares ; l'armement se poursuit fébrilement et le spectre de la guerre devient de plus en plus visible à l'horizon. L'idée se répand de plus en plus qu'il n'y a d'autre issue à la situation. »

 

F Seracky de la Loge « Baruch Spinoza » à Prague. Congrès d'Août 1936 de l'AMI, tenu à Prague sous le thème : « La défense de la civilisation ».

 

 

 

L'Association Maçonnique Internationale (AMI) eut une vie somme toute brève, d'une vingtaine d'année, mais riche, bien que ce fut une association sans beaucoup de cohésion : ce fut surtout un lieu de rencontre.

Elle comptera une trentaine d'Obédiences couvrant environ 500 000 maçons en 1923.

 

Créée en 1921, dans le sillage de la "Société des Nations" (SDN), elle ne résistera pas à la seconde guerre. Elle fut officiellement dissoute par la Grande Loge Alpina, où elle était placée, en avril 1950, pour faire place à la Convention du Luxembourg dans laquelle s’engouffrera avec perte et fracas la Grande Loge de France. Et dans la foulée, le pôle GOdF - GOB créera en réaction le CLIPSAS.

 

Ce fut un suisse, ancien Grand Maître de la GL Alpina qui en fut le maître d'oeuvre principal : Edouard Quartier-La-Tente (1855-1925). Il en sera le « Grand Chancelier » jusqu'à son décès.

 

Edouard Quartier-La-Tente en 1913

 

Il avait créé, dès 1903, le " Bureau International de Relations Maçonniques ", suite à un congrès tenu en septembre 1902 à Genève. Les anglais participèrent à l'un et l'autre, de même que des Grandes Loges américaines.

A ce moment la GLUA côtoyait le GOdF, comme elle l'avait déjà faite en 1889 lors de l'exposition universelle de Paris.

Tout est fort relatif !

 

La première guerre mondiale passa par là, et une nouvelle formule s'imposa, ce sera l'AMI, à laquelle les anglais n'adhérèrent pas, mais bien, entre autre, le Grand Orient de Pays-Bas et la Grande Loge de New-York.

La déclaration de principe de cette nouvelle association ne comportait pas l'invocation au Grand Architecte de l'Univers. Néanmoins, à la demande de ces deux dernières Obédiences fondatrices, l'association vota ultérieurement son introduction dans la déclaration de principe, non sans difficulté. En effet deux autres Obédiences votèrent négativement: le GOdF et la GL du Luxembourg. L'unanimité du vote étant une des conditions émises par les deux Obédiences demandeuses, elles quitteront rapidement le navire suisse sous ce prétexte.

 

Paradoxalement, le GO des Pays-Bas maintiendra cependant ses relations avec le GOdF (tout comme elle les maintenait avec la GLUA, de même qu'Alpina et d'autres Obédiences, et notamment quelques Obédiences américaines au sortir de la première guerre: le système mutuellement exclusif d'aujourd'hui n'existait pas à ce moment: ce principe ne deviendra une règle qu'avec la Convention du Luxembourg de 1954).

 

Arthur Groussier, alors Grand-Maître du GOdF, en sera le président durant 3 ans, de 1927 à 1930.

 

La GLUA combattit fermement cette association et menaça la GL Alpina de rompre ses relations avec elle (mais ne le fera pas), ce qui va compliquer le travail de l'Association.

Par contre cette même GLUA esquissera un rapprochement avec les Obédiences allemandes nationalistes et notamment les GL Vieilles prussiennes.

 

 

C'est que trois problèmes vont grandir :

 

  • D'une part l'existence de la nouvelle Obédience française (la GLNIR qui deviendra la GLNF, fondée fin 1913) reconnue comme seule Obédience représentant la France par la GLUA. La présence du GOdF dans l'AMI devenait un problème pour les Obédiences britanniques. C'est en 1929 que les « Basic Principles » en 8 points de la Grande Loge Unie d'Angleterre apparaissent. La Grande Loge de New-York quittera l'AMI en 1924 et le Grand Orient des Pays-Bas en 1928.

  • D'autre part la dérive de la maçonnerie allemande* et le problème soulevé par l'admission de la Fédération allemande du « Soleil Levant », considérée comme irrégulière dans son pays, soutenue par le GOdF.

  • Et enfin, cela devient progressivement central: la guerre entre les peuples européens semble approcher inexorablement. (cf l'extrait repris au début de cet article, de 1936.)

 

*Faut-il rappeler que les Grandes Loges Vieilles prussiennes chassèrent rapidement de leurs rangs tout ce qui se rapprochait de loin ou de près d'un juif, d'où ce commentaire désabusé, étonnant de précocité pour l'époque, repris du second document qui date de 1933: "sans doute les candidats fourniront-ils leur indice céphalique afin d'assurer le recrutement exclusif des seuls 'dolicocephales blonds' ".

 

 

Salle Hollander du Grand Temple de New York avec la statue de George Washington

 

 

L'obédience mixte, le « Droit Humain », et plus généralement les maçonneries accueillant des femmes, n'y sont pas admises. Voici ce qu'en déclare Louis Doignon en 1938 (il terminait sa deuxième Grande Maîtrise de la Grande Loge de France et se trouvait à la présidence de l'AMI) : « L'admission des femmes dans la Franc-Maçonnerie est de moins en moins revendiquée ; il n'est pas d'Obédiences régulières qui admettent les femmes à l'initiation maçonnique dont le caractère – il ne faut pas l'oublier – est spécifiquement masculin.

Si le Grand Orient de France a reconnu le « Droit Humain », il l'a fait partiellement, avec réserves et réticences. Tout fait penser qu'il renoncerait sans hésiter à cette reconnaissance du « Droit Humain » si le rapprochement des puissances maçonniques régulières mondiales lui apparaissait être à ce prix.

De même la Grande Loge de France ferait-elle certainement ce rapprochement qu'elle souhaite le sacrifice de ses Loges d'Adoption. »

(Louis Doignon. Recherche des possibilités et des Moyens de rapprochement entre les diverses Puissances Maçonniques Régulières du Monde. Convent de l'AMI à Lucerne, 1938.)

 

Si le GLdF n'avait pas de relation avec le DH, le GOdF avait effectivement modifié sa relation avec le DH, la reconnaissant comme une association philosophique et non pas initiatique. C'est sous cet artifice que les doubles appartenances ont pu se maintenir à cette époque (cf la tentative de rapprochement des trois Obédiences en 1930).

 

 

 

La belle déclaration de principe des origines de l'AMI:

 

« La Franc-Maçonnerie, institution traditionnelle, philanthropique, philosophique et progressive, basée sur l'acceptation du principe que tous les hommes sont frères, a pour objet la recherche de la Vérité, l'étude et la pratique de la morale et de la solidarité. Elle travaille à l'amélioration matérielle et morale ainsi qu'au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité. Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté de conscience. Elle a pour devoir d'étendre à tous les membres de l'Humanité les liens fraternels qui unissent tous les francs-maçons sur la surface du globe.

La Franc-maçonnerie, considérant le travail comme un des devoirs essentiels de l'homme, honore également le travail manuel et le travail intellectuel.

Elle forme donc une association d'hommes probes, libres et dévoués, qui, liés par des sentiments de liberté, d'égalité et de fraternité, travaillent individuellement et en commun au progrès social, exerçant ainsi la Bienfaisance dans le sens le plus élevé. »

 

Sont signataires de cette déclaration, les 12 fondateurs :

La GL Suisse Alpina, le GO des Pays-Bas, la GL de New-York, le GO de France, le GO de Belgique, la GL de Vienne, la GL de Bulgarie, la GL Espagnole, la GL de France, le GO d'Italie, le GO du Portugal, le GO de Turquie.

 

Les rejoindront : la GO d'Espagne, la GL du Luxembourg, la GL de Pologne, les deux GL de Tchécoslovaquie, les obédiences grecque, hongroise, égyptienne, latino-américaines, soit 38 puissances maçonniques en 1923.

 

Par contre la Fédération allemande du Soleil Levant (Freimaurerbund zur Aufgehenden Sonne; Nuremberg), approchée pour en faire partie, préféra finalement retirer sa candidature en 1925, compte tenu de la forte pression que les autres Grandes Loges allemandes faisaient peser sur elle et pour ne pas essuyer un refus (l'examen de sa candidature avait été post-posé en 1924, on lui reprochait une "irrégularité" d'origine).

 

Livret de chansons de la Fédération du Soleil Levant
 

 

Quatre documents sont placés en annexe :

 

1er Document. Il s'agit des premières pages du bulletin de l'AMI n°54 de 1935. Elle montre une définition de la « régularité » fort différente d'aujourd'hui.

 

2è Document. Il s'agit de quelques pages du Bulletin de la Grande Loge de France de 1933, rédigé par François Collaveri. (Soit un an avant que n'éclate l'affaire Stavisky). Elles concernent d'une part la très belle déclaration de l'AMI devant les dangers du fascisme et du nazisme et d'autre part l'exposé concernant l'attitude des GL Allemandes. Certaines sont non seulement conciliantes mais viennent en soutien à Hitler : il s'agit notamment des Grandes Loges Vieilles prussiennes, de Saxe, d'Hambourg, ... , dont certains membres deviendront d'ailleurs des dignitaires nazis.

 

3è Document, tiré du rapport du congrès de l'AMI tenu à Luxembourg en 1934 : "Pour ou contre la Franc-Maçonnerie".

Soulignons que les contacts entre Hitler et certaines Grandes Loges allemande furent précoces et spontanés: "Dès 1931, les dirigeants des Grandes Loges allemandes prévoient les chances de succès du national-socialisme. Le F Bröse, Grand Maître de la Grande Loge de Hambourg, écrit à Hitler pour lui proposer de lui ouvrir les archives de la Grande Loge, ..."

De plus les Grande Loges allemandes pratiquaient un isolement strict et volontaire, n'hésitant pas à sanctionner des frères montrant le moindre signe d' "internationalisme". En 1923, déjà, le F Rockhorst, rédacteur du Leutchte est obligé de démissionner parce qu'il avait défendu dans ce journal la thèse de l'universalité de la Maçonnerie." D'autres seront également sanctionnés parce qu'appartenant aux hauts-grades du REAA, ou parce qu'ils avaient fréquenté la LUF (Ligue universelle de la Franc-Maçonnerie).

 

Mais ce ne fut pas le cas du "courant libéral" [*] de la FM allemande, c'est cependant très minoritaire (moins de 10% de la FM allemande de l'époque). Ce ne fut donc pas le cas, ni de la Grande Loge Éclectique (Francfort), - elle avait eu le courage d'organiser la première (et la seule, me semble-t-il?) rencontre maçonnique franco-allemande en Allemagne d'après-guerre en 1927 à Francfort malgré l'hostilité farouche des autres Grandes Loges "régulières" allemandes -, ni de la Fédération du Soleil Levant, ni de la Grande Loge Symbolique (née en 1930 de l’éclatement de la Fédération du Soleil Levant, avec le F Leo Müffelmann, voir documents n°2,3,4), Obédiences qui se dissoudront en 1933 (année de la prise de pouvoir de Hitler et du parti nazi) et dont certains membres furent pourchassés impitoyablement.

 

4è Document, tiré du Bulletin n°50 de 1934 de l'AMI.

En tout état de cause, toutes les Loges allemandes subsistantes furent supprimées en 1934-5 par le pouvoir hitlérien, en ce compris les trois Grandes Loges Vieilles prussiennes qui s'étaient transformées quelques temps auparavant en un Ordre Germano-chrétien de soutien au pouvoir en place.

Notons que la Maçonnerie avait déjà été supprimée en Hongrie (1920) et en Italie (1925). Ensuite disparaîtront les maçonneries du Portugal et de Turquie (1935), de Roumanie et de Pologne (1937), d'Autriche et de Tchécoslovaquie (1939) et enfin d'Espagne en 1940.

 

Il ne faut dès lors pas s'étonner que de 70 000 maçons avant guerre, la Franc-maçonnerie allemande, sur laquelle pesa un réel discrédit, ne se soit jamais relevée après-guerre et ne compte plus, aujourd'hui encore, qu'une bonne dizaine de millier de membres

.

 

[*] Les termes "courant libéral" sont peut-être mal choisis. A titre personnel, pour cette époque, je préférerais les termes de "pôle pacifiste" par rapport à un "pôle nationaliste revanchard" représenté par les GL Vieilles prusses, les autres GL (dites Humanitaires) se situant probablement entre les deux.

 

 

Petite bibliographie.

  • Johannes Corneloup. Universalisme et franc-maçonnerie. Vitiano, 1963.
  • Pierre Chevalier. Histoire de la Franc-Maçonnerie française. Tome 3. Fayard, 1992.
  • José Orval. Une histoire humaine de la Franc-maçonnerie spéculative. Céfal, 2006.
  • Alain Bernheim. Une certaine idée de la Franc-maçonnerie. Dervy, 2008.
  • Alain Bernheim. German freemasonry and its attitudes toward the nazi regime. Pietre-Stones review.
  • André Combes. Essai sur l'évolution des relations maçonniques internationales en Europe au vingtième siècle. Sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier. Franc-maçonnerie et histoire. Bilan et perspective.Éditions des Universités de Rouen et du Havre, 2003

 

 

 

Association Maçonnique Internationale

Extraits du Bulletin de l'AMI, n°54 paru en 1935

Extraits du Bulletin de la GLdF de 1933.

Extraits du Rapport du Congrès de l'AMI tenu à Luxembourg en 1934.

Extraits du Bulletin de l'AMI, n°50 paru en 1934.

Rédigé par Christophe de Brouwer

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